Côte d’Ivoire : des soins appropriés en santé mentale dans des camps de prière
Bouaké – En Côte d’Ivoire, les croyances populaires associent les maladies mentales à des phénomènes paranormaux ou à des manifestations spirituelles. Des camps de prière établis par des pasteurs proposent une prise en charge aux sujets atteints de troubles mentaux ainsi qu’à leurs familles. Dans ces camps, les « soins » dispensés ne sont pas appropriés au regard des normes et protocoles des services de santé mentale.
Le pays comptait 541 structures non conventionnelles y compris les camps de prière, d’après une étude soutenue par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en 2021. La même étude a montré que plus de 98 % de ces structures ne proposent aucune prestation de santé mentale.
« Mon fils n’allait pas bien et ça dure depuis six ans. Quand il a été chassé du domicile familial, je l’ai amené ici pour que le pasteur puisse le guérir », confie Sabrina*, mère de Kouassy*, 32 ans, admis dans un camp de prière à Botro depuis quatre ans. « Avec la prière, il allait un peu mieux mais je n’étais pas satisfaite. »
La Côte d’Ivoire dispose de 34 centres conventionnels de prise en charge des troubles liés à la santé mentale. Le pays compte moins de 100 spécialistes en santé mentale, y compris les psychiatres, les infirmiers et sage-femmes en psychiatrie, pour une population estimée à plus de 29 millions d’habitants. La Région africaine souffre d'une grave pénurie de professionnels de la santé mentale, avec 0,9 travailleur de la santé mentale pour 100 000 habitants.
Dans le but d’accompagner ces centres non conventionnels, le gouvernement ivoirien a lancé en mars 2023 la phase pilote du projet CAMPPSY (Camp psychologique), en collaboration avec Mindfull Change Fondation, à travers le Programme national de santé mentale (PNSM). Cette initiative offre un accompagnement formel aux camps de prière en mettant à disposition des professionnels en santé mentale pour fournir des soins de qualité aux patients, tout en tenant compte de leurs droits.
Une trentaine de travailleurs de santé ont été mis à la disposition de 10 camps de prière dans deux régions sanitaires, au profit de 104 malades bénéficiaires. Les principaux troubles recensés sont notamment la dépression, les troubles bipolaires, l’épilepsie et la psychose. Dans les camps qui ne sont pas encore enrôlés dans le programme, des équipes mobiles fournissent des services de base. Un psychologue intervient chaque mois et sur demande pour le suivi des patients.
Avec l’appui de l’OMS, le personnel, composé psychologues cliniciens, de travailleurs sociaux et d’infirmiers, mis à la disposition de ces camps a été formé pour une meilleure prise en charge. « Au début, il y a des parents qui s’opposaient à la prise de médicaments. Pour eux, le traitement n’est pas nécessaire, c’est seulement la prière », raconte Ferrala Tuo, Auxiliaire en pharmacie sur le projet CAMPPSY. « Un patient m’a vraiment marqué. À notre première visite, il était enchaîné et son père découragé car son fils vivait dans cet état depuis près de trois ans. En trois mois de prise en charge, son état s’est totalement amélioré. Grâce à lui, beaucoup ont accepté le traitement surtout que c’est gratuit. »
Pour Michel Amani, le chef du projet CAMPPSY, les droits humains restent prioritaires. « En plus du traitement médical, nous mettons en avant la promotion des droits humains. Par le passé, les malades étaient enchaînés dans les camps et vivaient dans des conditions très difficiles. À présent, leurs conditions de vie se sont nettement améliorées. Ils sont bien vêtus et propres. »
Cette attention à la santé mentale des personnes est cruciale pour l’OMS. L’Organisation soutient des stratégies abordables, efficaces et réalisables pour promouvoir, protéger et rétablir la santé mentale.
« L’approche basée sur les droits humains permet d'apporter une réponse adaptée et centrée sur les besoins du patient, et non uniquement sur la maladie ou la déficience », souligne Dr Ambroise Ané, Chargé de Programme MNT (maladies non transmissibles) au Bureau de l’OMS en Côte d’Ivoire. « Nous mettons l’accent sur une approche holistique parce que la personne atteinte de troubles mentaux a d’autres besoins de santé », ajoute-t-il.
En Côte d’Ivoire, sur la base des statistiques sanitaires en santé mentale, il est indiqué qu’environ 60 000 personnes atteintes de maladies mentales sont suivies dans les structures psychiatriques conventionnelles.
L’OMS soutient le plan stratégique national de santé mentale qui prend en compte les troubles du neuro développement de l’enfant. À ce titre, l’Organisation appuie entre autres la formation de personnels de santé dans les centres de soins de santé primaires en matière de surveillance, de détection et d’intervention précoce chez les enfants et adolescents. En suivant les directives actuelles de l'OMS sur l'intégration des soins de développement dans les soins de santé primaires, la Côte d’Ivoire promeut une approche communautaire.
« L’approche communautaire permet de lutter efficacement contre les préjugés et les pratiques qui entravent le recours aux soins appropriés, telles que l’enchaînement, l’enfermement et le rejet familial », explique le Professeur Asseman Médard Koua, Directeur coordonnateur du PNSM. « Elle vise à mobiliser les ressources pour les besoins du malade, sa résilience et engager les communautés pour une meilleure sensibilisation et un bon référencement vers les mécanismes et les professionnels de santé mentale. »
Après cinq mois de traitement pharmaceutique et psychosocial, 75 patients sont observants des prescriptions médicales et stabilisés. La vie dans les camps du projet CAMPPSY est assimilable à celle dans une communauté ordinaire. Les pensionnaires entretiennent l’environnement de ces espaces et certains s’adonnent à l’agriculture de subsistance. Ce qui renforce leur estime de soi et leur intégration.
Kouassy va mieux au grand soulagement de sa mère. « Depuis le début du traitement avec la prise des médicaments, les choses ont changé. Son comportement n’est plus le même. Mon fils est plus calme et cohérent », témoigne Sabrina. « C’est comme une renaissance et j’ai espoir en l’avenir. »
*Nom d’emprunt
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Chargée de communication
Bureau régional pour l'Afrique
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