Intensifier les mesures de lutte antitabac en Afrique

Intensifier les mesures de lutte antitabac en Afrique

Pretoria ‒ La question de la consommation de tabac en Afrique présente des enjeux complexes, tant sur le plan de la santé publique que sur les plans économique et environnemental, exigeant une approche multidisciplinaire pour la prévention et le contrôle. Le Professeur Lekan Ayo-Yusuf, du Centre africain de surveillance de l’industrie du tabac et de recherche sur les politiques (ATIM) de l’Université de Pretoria, aborde la question des mesures de lutte antitabac en Afrique.

Quelles sont les tendances générales de consommation de tabac en Afrique ?

La consommation de tabac varie d’une région à l’autre en Afrique mais dans l’ensemble, elle pose d’importants défis en matière de santé publique. Bien que le taux de tabagisme dans certains pays africains demeure relativement faible par rapport à la moyenne mondiale, la consommation de tabac augmente constamment, en particulier chez les jeunes et les populations vulnérables. Parmi les facteurs favorisant cette tendance, on peut citer la promotion agressive des produits du tabac par les fabricants, le manque de politiques de contrôle efficaces et l’acceptation culturelle du tabagisme dans certaines communautés.

La consommation de tabac sans fumée, par exemple le tabac à mâcher et le tabac à priser, est par ailleurs répandue dans certaines régions, contribuant ainsi à accroître la consommation globale de tabac. Ces produits échappent souvent à la réglementation et peuvent être perçus comme étant moins nocifs, ce qui favorise leur utilisation répandue.

Le fardeau économique des maladies liées au tabac est très élevé en Afrique et exerce une forte pression sur des ressources déjà limitées en matière de soins de santé.   De plus, la culture du tabac dans certains pays africains participe à la dégradation de l’environnement et à l’exploitation de la main-d’œuvre.

Quelles sont les mesures de lutte antitabac qui existent en Afrique ?

L’Afrique a réalisé d’importants progrès dans la lutte contre le tabagisme, notamment depuis l’an 2000. Depuis l’entrée en vigueur de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac en 2005, les pays sont tenus de respecter des mesures juridiquement contraignantes. Ce changement significatif a favorisé une prise de conscience accrue et à renforcer l’action contre le tabagisme sur le continent.

Des politiques clés ont été élaborées, parmi lesquelles des lois antitabac, l’interdiction de toute forme de publicité, de promotion et de financement des produits du tabac, l’introduction d’étiquettes d’avertissement et de programmes de sevrage tabagique. Cependant, la mise en œuvre de ces politiques reste un défi majeur.

L’interdiction de la promotion et du financement des produits du tabac a suscité un regain d’intérêt, avec une mise en œuvre plus stricte, tandis que l’interdiction de fumer dans les lieux publics est appliquée de manière incohérente. Les programmes de sevrage tabagique sont peu courants. Seuls quelques pays ont mis en place des directives nationales et offrent des services de conseil pour aider les fumeurs à arrêter.

La politique fiscale, qui a le potentiel d’avoir un impact considérable, n’a pas été pleinement exploitée. Seul l’île Maurice a respecté la directive recommandée, qui préconise une taxation des produits du tabac représentant 75 % du prix de vente au détail. Certains pays n’arrivent pas à atteindre les taux de taxation recommandés. C’est le cas de l’Afrique du Sud qui applique un taux de 50 %, tandis que d’autres pays affichent des taux inférieurs à 40 %, ce qui maintient les produits du tabac à des prix relativement abordables.

Quels sont les obstacles à l’efficacité des mesures actuelles de lutte contre le tabagisme ?

En Afrique, les mesures de lutte antitabac sont entravées par une dépendance économique conséquente vis-à-vis de l’industrie du tabac, surtout dans les pays où la culture du tabac est une source majeure de recettes en devises. Les multinationales du tabac exercent un pouvoir économique considérable qu’elles utilisent pour influencer les politiques gouvernementales, souvent de sorte à atténuer ou entraver la législation antitabac. Les pays d’origine des grandes multinationales fournissent peu d’efforts pour obliger les entreprises à rendre des comptes au-delà de leurs frontières nationales. Par conséquent, la plupart des États africains confrontés à des défis, et caractérisés par une gouvernance insuffisante, peinent à appliquer efficacement les réglementations, ce qui ne fait qu’empirer la situation.

Cette situation entraîne par la suite des problèmes associés aux marchés illicites. Si le cadre réglementaire des pays est faible, le commerce illicite devient plus facile, ce qui compromet la lutte antitabac et rend les prix des produits encore plus abordables. Les divergences politiques qui existent entre les pays au sein d’une région favorisent le commerce transfrontalier illicite. C’est d’ailleurs pour cette raison, qu’une harmonisation des politiques à l’échelle régionale est nécessaire. 

En outre, la valorisation sociale du tabagisme, amplifiée par les campagnes publicitaires des fabricants, maintient le cycle d’initiation au tabac, en particulier chez les jeunes. Les campagnes de sensibilisation publique limitées et les initiatives éducatives n’ont pas réussi à réfuter la désinformation propagée par l’industrie sur les dangers du tabac. L’incapacité du système de santé à fournir des services adéquats de sevrage tabagique entrave les efforts de lutte contre le tabagisme. 

Pour surmonter ces obstacles, il est essentiel de donner la priorité à la lutte antitabac, de renforcer les cadres réglementaires, notamment en empêchant l’interférence de l'industrie du tabac dans le processus politique, de sensibiliser davantage le public et d’améliorer l'accès aux services de sevrage au sein du système de soins de santé.

Comment intensifier la lutte antitabac ?

Pour intensifier la lutte contre le tabagisme en Afrique, une approche multidimensionnelle s’avère essentielle.  Cela implique une coopération internationale, une harmonisation régionale des politiques, la mise en vigueur d’une législation forte, la sensibilisation du public et la recherche.

La collaboration internationale revêt une importance capitale, notamment pour lutter contre l’ingérence de l’industrie du tabac. Les organisations non gouvernementales peuvent jouer un rôle crucial en accompagnant les gouvernements qui sont confrontés à la pression de cette industrie.

L'OMS a fourni des lignes directrices essentielles aux pays qui n'auraient autrement aucun repère pour prendre des mesures.

Certaines organisations telles que Campaign for Tobacco-Free Kids apporte également un soutien juridique aux pays qui font face à des litiges ou à des menaces de la part de l’industrie du tabac. Le centre ATIM offre aussi une formation à la surveillance de l'industrie du tabac dans le but de contrer l'ingérence de cette dernière dans le processus d'élaboration des politiques.

Parallèlement, les campagnes de sensibilisation du public doivent être soutenues par une législation rigoureuse et effectivement appliquée. Ainsi, l’engagement politique et le plaidoyer sont essentiels et requièrent le soutien non seulement de l’OMS, mais également de l’Organisation mondiale du commerce, de la Banque mondiale et d’autres organismes.

L’exclusion des produits du tabac des accords de libre-échange en Afrique, ainsi que d’autres produits susceptibles d’affecter la santé publique, est cruciale pour intensifier la lutte antitabac.

Enfin, nous avons besoin de mener des recherches et de disposer de données locales pour évaluer efficacement l'impact des politiques de lutte antitabac et fournir des preuves contextuelles de leur efficacité.

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Tatenda Musinahama
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WHO South Africa
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