Interview du Dr Adrian Hopkins, Directeur du Programme "Donation de Mectizan", en marge du Deuxième Forum des Parties Prenantes au Programme des "Maladies Tropicales Négligées" - Kinshasa, du 22 au 24 janvier 2014
NEWSLETTER OMS RDC : Dr Hopkins, vous avez vécu et travaillé en RDC dans les années 70-80. Dites- nous comment vous étiez arrivé en RDC pendant cette période-là?
Dr HOPKINS : La première fois que j’ai foulé le sol congolais, c’était effectivement au début des années 70 quand j’étais encore étudiant. J’avais trouvé l’opportunité d’un stage à Kimpese, au Bas-Congo. C’était comme par hasard, je cherchais un endroit pour effectuer mon stage et quelqu’un que je connaissais bien m’a invité d’y aller. C’est-ce qui m’a attiré au Congo-Kinshasa. Ensuite, je suis revenu pour la deuxième fois en 1975, cette fois-là pour travailler. Mon premier poste d’attache, c’était à Pimu, au Sud-ouest de Lisala, dans la province de l’Equateur. En ce moment-là, il n’y avait pas encore de concept de Zone de Santé. J’ai été par la suite Médecin Chef de Zone de santé pendant dix ans, période qui coïncide avec la création vers les années 80 des premières zones de santé. Je m’occupais à soigner également les yeux des patients.
NEWSLETTER OMS RDC: Qu’est-ce qui vous a le plus attiré à choisir l’ex -Zaïre à l’époque ?
Dr HOPKINS: C’était un endroit assez intéressant pour travailler. J’étais d’abord arrivé seul, et puis, ma famille m’a suivi. On vivait à Pimu, pratiquement dans la forêt où il y avait un hôpital. Je suis resté à Pimu pendant 17 ans. Ensuite, j’ai été aussi un peu dans le Bas-Congo et à Kisangani, dans la Province Orientale.
NEWSLETTER OMS RDC: Comment vous étiez-vous organisé pour le travail, et avec combien de personnels ?
Dr HOPKINS: Nous étions deux Médecins expatriés, ensuite, on a engagé deux autres Médecins nationaux. Nous avons eu à travailler également avec d’autres centres de santé dans la région.
NEWSLETTER OMS RDC: En ce moment-là, quels étaient les principaux problèmes de santé publique qui affectaient la population?
Dr HOPKINS: C’était beaucoup plus les maladies infantiles telles le Paludisme. L’Onchocercose tuait aussi beaucoup d’enfants, car étant loin des centres de santé, on les amenait souvent un peu tardivement pour les soins. De temps en temps la rougeole aussi, les enfants en étaient les plus exposés. Nous avions un centre chirurgical avec un Médecin et, il y avait aussi les urgences. Pendant cette période, j’ai vu plusieurs cas de cécité de rivière. C’est-ce qui m’a poussé à penser à l’Ophtalmologie. Après, on a mis en place le service d’ophtalmologie; on sillonnait la province pour soigner les gens.
NEWSLETTER OMS RDC: Est-ce que la population était consciente de cette maladie qu’est la cécité de rivière ?
Dr HOPKINS: A l’époque, ce n’était pas du tout une maladie prioritaire, il y avait plus de cas de Cataracte et de Glaucome que de l’Onchocercose.
NEWSLETTER OMS RDC: Revenons encore sur le concept du District Sanitaire ou de la Zone de santé. Quand est-ce qu’on a commencé à parler à en parler ici en RDC ?
Dr HOPKINS: C’était vers les années 82-83. C’était essentiellement dans l’objectif de planifier et de voir quelles étaient les maladies qui sévissaient les plus et comment les éradiquer, les prévenir ou encore les contrôler. Même les soins de santé primaires s’appuyaient sur la répartition des Zones de santé ou Aires de santé. Pour ce qui est de l’onchocercose par exemple, il n’y avait pas encore l’Ivermectine à cette époque-là. En RDC, la première distribution de masse de l’Ivermectine a eu lieu en 1994 à Dimbelenge, dans le Kasaï-Occidental.
NEWSLETTER OMS RDC: Quelle appréciation faites-vous du secteur de la santé à l’époque ?
Dr HOPKINS: La population a beaucoup apprécié le travail fourni pour promouvoir les soins de santé primaires, avec le développement des Zones de Santé. Aujourd’hui beaucoup de gens de l’arrière-pays connaissent leurs propres Zones de santé, et ça c’est très important.
NEWSLETTER OMS RDC: Quelle était la valeur d’un District sanitaire ou d’une Zone de santé?
Dr HOPKINS: C’était un concept très important à l’époque. On n’attendait pas les patients à l’hôpital, mais on allait vers les patients, vers la population pour voir et prévenir leurs problèmes de santé. Cela a même encore évolué avec la distribution de l’Ivermectine. Aujourd’hui, cette distribution est faite sous directive communautaire. C’est la communauté qui prend en charge sa propre santé. C’est une évolution très importante.
NEWSLETTER OMS RDC: Vous êtes revenu en RDC après tant d’années, comment voyez-vous le système de santé actuel ?
Dr HOPKINS: De manière générale ça va. Les politiques de santé mises en place sont largement appliquées. Par ailleurs, le pays est vaste, avec les conflits vécus, certaines zones de santé sont délaissées. Il faut penser à réanimer ces zones de santé éloignées qui avaient été oubliées et délaissées. Les concepts Zone de santé et soins de santé primaires ont eu un impact très positif sur la population en RDC. On doit aussi penser à intégrer ce que nous appelons ici ‘‘Maladies Tropicales Négligées’’ dans les soins de santé primaires ; ça ne doit pas demeurer des soins périodiques comme c’est le cas avec la distribution de l’Ivermectine. Pour la durabilité de ce Programme de lutte contre les Maladies Tropicales Négligées, il est crucial que la prise en charge soit intégrée dans le programme des soins de santé primaires.
NEWSLETTER OMS RDC: Aujourd’hui, mobiliser des ressources pour la lutte contre ces Maladies Tropicales Négligées est un véritable challenge. Selon vous, comment porter le plaidoyer et renforcer le partenariat pour convaincre les bailleurs à soutenir financièrement le programme MTN,ou intégrer ce projet dans leur Programme d’aide?
Dr HOPKINS: Je vais vous dire d’abord pourquoi ces maladies étaient négligées : certaines maladies telles le VIH/Sida, la Tuberculose, le Paludisme ont plus attiré l’attention des donateurs dans le temps, comme le Fonds mondial, et ont absorbé tout l’argent des pays donateurs. Les Maladies Tropicales Négligées ne sont pas des maladies récentes, mais très anciennes et qui ne tuent pas, mais affaiblissent les gens ou les rendent invalides. C’est le cas de l’Onchocercose et du Glaucome qui provoquent la cécité. Pour attirer cependant, l’attention sur ces maladies, il faut savoir marteler sur le fait que ce sont des maladies des populations démunies et éloignées des sites des soins de santé, donc qui n’ont pas accès aux médicaments. Il faut préciser que ce ne sont pas des maladies négligées mais des maladies des personnes négligées, parce qu’elles vivent loin. Pour le plaidoyer, il faut tenir compte des facteurs qui mettent en avant le caractère démuni des personnes touchées. Par ailleurs, les Grandes Firmes Pharmaceutiques donnent gratuitement de grandes quantités de médicaments. Un petit calcul : chaque comprimé de l’Ivermectine coute 1,5 $US en RDC. On a distribué 3comprimés par personne et pour un total de 22 millions de personnes. Donc, on a 3 fois 1,5$, ce qui donne 4,5 $US par personne, multipliés par 22 millions de personnes. Ceci fait un cadeau de 4,5 $US à 22 millions de Congolais. Mais cela ne suffit pas, il faut maintenant trouver des moyens pour faire parvenir ces médicaments à ces personnes nécessiteuses qui sont très éloignées. Il est aussi essentiel de faire voir qu’avec la distribution de médicaments, des cas de cécité sont en train de disparaître. La bilharziose aussi, les vers intestinaux sont réduits à un niveau le plus bas. Toutes ces maladies qui créent des handicaps, nous pouvons les éviter et redonner de l’énergie aux gens, les rendre utiles à la société en leur évitant ces handicapes.
NEWSLETTER OMS RDC: Dr Adrian HOPKINS, merci.
Dr HOPKINS: Je vous en prie.