Un laboratoire kényan renforce la surveillance du génome en Afrique
Kilifi, Kenya - Au milieu d’écrans LED scintillants et avec le doux ronronnement du climatiseur en fond sonore, les techniciens de laboratoire d'une vaste installation située au Kenya examinent des tubes à essai et des feuilles de calcul. Ils travaillent d'arrache-pied pour contribuer aux efforts que l'Afrique déploie pour surveiller et détecter des variants de la COVID-19 et renforcer la riposte aux pandémies.
Le laboratoire de l'Institut de recherche médicale du Kenya, situé dans la ville côtière de Kilifi, consacrait auparavant séquençage du génome à des projets de recherche, séquençant environ deux douzaines d'échantillons par semaine.
Avec la survenue de la pandémie, le laboratoire de Kilifi dessert aujourd’hui cinq pays et fait partie du réseau continental de 12 laboratoires mis en place pour améliorer la surveillance des agents pathogènes dans la région grâce au séquençage du génome. Le laboratoire séquence jusqu'à 200 échantillons par semaine, bien qu'il puisse en traiter jusqu'à 700.
Le séquençage du génome est essentiel à la lutte contre la COVID-19, car il permet aux gouvernements et aux autorités sanitaires de prendre des décisions rapides et éclairées en matière de santé publique, telles que des mesures visant à renforcer la préparation à d'éventuelles flambées épidémiques dues à des variants plus infectieux ou à intensifier la vaccination, le diagnostic et le traitement.
« Une séquence génomique est comme une empreinte digitale du virus », explique le Dr George Githinji, chef d'équipe de la surveillance génomique à l'Institut de recherche médicale du Kenya à Kilifi. « À partir d'une séquence, nous apprenons l'histoire du virus, ce qui nous aide à comprendre les schémas de transmission et à savoir comment empêcher [la COVID-19] de se propager ».
Le laboratoire a produit plus de 8000 séquences depuis avril 2020, à partir d'échantillons envoyés par les Comores, l’Eswatini, l'Éthiopie, les Seychelles, le Soudan ainsi que par le Kenya. Un quart de ces échantillons ont été envoyés par les cinq pays de la sous-région.
L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande aux pays d'envoyer au moins 5 % de leurs échantillons de COVID-19 à un laboratoire de séquençage de référence ou de produire en continu des données de séquençage, s'ils en ont la capacité.
« Plus il y a de séquences, mieux c'est », déclare la Dre Nicksy Gumede-Moeletsi, virologue au Bureau régional de l'OMS pour l'Afrique. « Comme le virus mute en permanence, il est important que des échantillons provenant de tout le continent soient régulièrement séquencés afin que nous puissions comprendre le SRAS-CoV-2 au fur et à mesure de son évolution. »
Il faut trois jours au laboratoire de Kilifi pour passer de l'échantillon à la séquence, mais environ deux semaines pour traiter entièrement les échantillons envoyés par d'autres pays et fournir une analyse complète. Le séquençage est un processus détaillé et peut également être coûteux, surtout lorsque les échantillons sont envoyés de l'étranger. L'expédition seule peut coûter jusqu'à 500 USD pour chaque livraison. Il faut également obtenir une multitude d'autorisations avant de pouvoir procéder aux livraisons.
« L'OMS agit comme un courtier, facilitant les accords, naviguant dans les douanes, gérant la paperasserie et organisant la logistique », explique la Dre Juliet Nabyonga, Représentante par intérim de l'OMS au Kenya. « Nos équipes travaillent avec les gouvernements et les laboratoires pour accélérer les processus administratifs afin que les échantillons puissent arriver froids et intacts ».
La Dre Gumede-Moeletsi souligne que l'envoi d'échantillons d'un pays à l'autre pour le séquençage est une « solution provisoire », ajoutant qu’« à terme, les pays doivent être en mesure de séquencer et d'analyser les génomes sans dépendre d'une aide extérieure ».
Les pays africains progressent à grands pas vers l'autosuffisance en matière de séquençage du génome. Après avoir reçu une formation de l'OMS, l’Eswatini séquence désormais ses propres échantillons de COVID-19 et n'en envoie plus au Kenya. Les Comores sont sur le point de faire de même après que leurs techniciens de laboratoire ont reçu une formation de l'OMS, qui aide également le pays à se procurer sa propre machine de séquençage. Avec le soutien de l'OMS, le laboratoire de Kilifi est prêt à former des techniciens de laboratoire d'Éthiopie et de Tanzanie.
Des pays comme le Tchad, Maurice, la Namibie et le Zimbabwe, qui envoyaient auparavant des échantillons à des laboratoires de référence régionaux situés en dehors de leur territoire, disposent désormais de leurs propres laboratoires de séquençage.
L'OMS a fourni plus de 6,5 millions de dollars US pour aider les pays africains à accroître les capacités de séquençage existantes ou à acquérir de nouvelles compétences. Cela a porté ses fruits. Au début de l'année 2021, seulement 5000 séquences avaient été produites à l'échelle du continent. Aujourd'hui, les laboratoires africains ont généré les profils génétiques de plus de 93 000 échantillons de SRAS-CoV-2.
« Nous avons renforcé nos capacités d'analyse en matière de bio-informatique. Nous pouvons tirer beaucoup de synergie et de force en nous concentrant sur les agents pathogènes d'intérêt, en établissant des collaborations et en soutenant l'analyse », déclare le Dr Githinji, l'Institut de recherche médicale du Kenya à Kilifi. « Il ne suffit pas de savoir ce qui circule. Vous avez besoin de l'analyse pour rendre le séquençage significatif afin qu'il ait un impact sur les décisions politiques ».
Le séquençage du génome peut révolutionner la santé publique et transformer les réponses à d'autres menaces sanitaires majeures au-delà de la COVID-19. Au cours des deux dernières décennies, le séquençage du génome a joué un rôle essentiel dans les efforts déployés pour lutter, entre autres, contre le VIH, la tuberculose, le virus Ebola, la polio, la rougeole et l'hépatite B et C en Afrique.