Conjuguer les efforts pour combattre « l’infodémie » d’Ebola en Guinée
N’Zérékoré – Par une matinée de forte chaleur au début du mois de mars, dans la petite ville de Gouécké située dans le sud-est de la Guinée, des dizaines de chefs communautaires et coutumiers inquiets se sont réunis pour rencontrer l’équipe locale de socio-anthropologues de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Alors que la dernière épidémie d’Ebola en Guinée continuait à se propager lentement dans les villes et villages de la préfecture de N’zerekore, y compris Gouécké, d’effrayantes rumeurs faisant état d’un enlèvement de cadavres avaient commencé à circuler. Il a notamment été dit que les corps étaient utilisés dans le cadre d’un trafic d’organes lucratif, ou que des équipes médicales prélevaient le sang des cadavres à d’autres fins infâmes.
« Pendant une épidémie, les populations ont peur. Dans un tel contexte, à moins de recevoir des informations claires et fiables, elles sont susceptibles de développer d’autres mécanismes afin d’interpréter ce qui se passe », explique Dr Julienne Anoko, coordonnatrice en charge de la communication sur les risques et de la participation communautaire auprès de l’OMS, ayant participé aux interventions menées en Guinée. « Les rumeurs font partie de ces mécanismes. »
La peur constante suscitée par le virus Ebola et les rumeurs pernicieuses à son sujet sont souvent alimentées par les souvenirs de l’épidémie qui, entre 2014 et 2016 a fait plus de 11 000 morts en Guinée, en Sierra Leone et au Libéria. Le premier cas de l’épidémie qui sévit actuellement a été détecté le 14 février 2021. Depuis lors, 23 nouveaux cas et 12 décès ont été enregistrés.
Dans le cadre des efforts menés par l’OMS afin d’enrayer la propagation de rumeurs et de fausses informations au cours de cette dernière épidémie, l’OMS elle-même et d’autres partenaires tels que l’UNICEF et la Fédération internationale de la Croix-Rouge ont récemment lancé une commission axée sur la communication collaborative, sous la houlette de la direction régionale de la santé. « Cela nous permet d’une part de centraliser nos efforts dans la lutte contre les rumeurs et la désinformation et, de l’autre, de nous assurer que nos interventions conjointes face à ces questions prennent en compte tous les domaines concernés », déclare Dr Anoko.
Le bureau de l’OMS en Guinée produit notamment un rapport hebdomadaire sur l’écoute sociale, qui est ensuite partagé avec ses partenaires. Par ailleurs, des données détaillées sur les réactions de la communauté sont envoyées aux organisations partenaires et au ministère de la Santé, et font l’objet de discussions avec ces derniers. Grâce à ces échanges, des rumeurs spécifiques ont pu être détectées, après quoi des messages sanitaires appropriés fondés sur des données factuelles ont été diffusés par le biais des réseaux sociaux et de la radio locale.
Le bureau de l’OMS en Guinée travaille en outre avec l’Alliance pour la riposte à l’infodémie en Afrique, lancée par le Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique en décembre 2020. En liaison avec 14 partenaires, dont l’UNICEF, Gavi l’Alliance du vaccin, la Fédération internationale de la Croix-Rouge, l’UNESCO et des organisations externes de vérification des faits, l’Alliance pour la riposte à l’infodémie en Afrique s’efforce de coordonner les interventions et de mettre en commun les ressources utiles dans la lutte contre la désinformation. Aussi, l’Alliance vise à promouvoir l’utilisation d’informations vérifiées dans le contexte des urgences sanitaires touchant la Région africaine. Viral Facts Afrique, la vitrine publique de l’Alliance, est engagée dans une série de vérifications de faits, de démystifications et d’activités visant à contrôler la désinformation auxquelles s’ajoute la production de contenus destinés aux réseaux sociaux, le but étant de combattre la désinformation.
Une approche communautaire
Dans un pays tel que la Guinée où le taux de pénétration de l’internet ne dépasse pas les 21,8 % et où seulement 15 % de la population utilise les réseaux sociaux, d’après un rapport de Data Reportal publié en janvier 2021, la participation communautaire directe reste l’approche la plus efficace.
« Lorsque nous rencontrons les communautés, elles nous font part des rumeurs qui circulent sur le terrain. Nous organisons ensuite des séances de dialogue communautaire ou des groupes de discussion, selon le besoin », explique la Dre Anoko. « Nous sommes toujours disposés à écouter les informations que la communauté souhaite partager avec nous. Nous essayons autant que possible d’être à l’écoute plutôt que de venir sur place et de dire aux gens ce qu’ils sont censés faire ».
Lors de la réunion communautaire de mars à Gouécké, après avoir écouté les craintes de la communauté concernant l’enlèvement des corps, les socio-anthropologues de l’OMS ont pris le temps d’expliquer et d’illustrer soigneusement les tenants et les aboutissants du processus. « Parfois, il suffit simplement de montrer aux gens un objet physique que nous utilisons, comme un écouvillon par exemple, afin qu’ils puissent comprendre ce qu’est cet outil et ce à quoi il sert », dit Dr Anoko.
Selon Franck Gaba, coordonnateur de la participation communautaire et de la transparence auprès de la Fédération internationale de la Croix-Rouge de Guinée, cette approche communautaire directe a obtenu des résultats considérables. Par le passé, il était impossible pour nous ou pour nos partenaires de pénétrer dans certaines zones, tant la peur et la réticence étaient grandes. Mais aujourd’hui, nous pouvons aller partout. Ceci représente un signe très visible des progrès réalisés, qui ont littéralement sauvé des vies.
Aussi, l’OMS et ses partenaires se sont efforcés d’associer les chefs religieux et communautaires locaux à leurs efforts de lutte contre les rumeurs et les fausses informations. « Nous ne pouvons pas être sur le terrain tout le temps, il est donc important de transmettre les messages sanitaires appropriés aux personnes crédibles et influentes dans leurs communautés afin qu’elles puissent retourner dans ces zones et démentir elles-mêmes les rumeurs, » dit Dr Anoko.
Démentir les rumeurs de manière précoce
En date du 8 mai s’est tenue à la grande mosquée située près du centre de N’Zérékoré, capitale de la préfecture, une réunion regroupant une trentaine d’imams de toute la région, et des représentants de l’OMS accompagnés de ceux de ses partenaires de la commission axée sur la communication. Ces imams ont été encouragés à partager les réactions de la communauté et à poser des questions sur l’épidémie.
« Nous avons beaucoup appris lors de ces réunions, non seulement sur Ebola, mais aussi sur la COVID-19 », déclare Yaya Diallo, imam dans une mosquée du quartier de Boma Sud. Depuis qu’il a eu accès à des informations sanitaires précises, chaque fois que Yaya Diallo apprend que des rumeurs potentiellement dangereuses circulent dans sa communauté, il les dément activement par ses sermons ou fait du porte-à-porte afin de s’adresser directement aux membres de la communauté. « Il est important d’infirmer ces rumeurs de manière précoce afin d’éviter qu’elles ne se répandent de trop », ajoute-t-il.
M. Diallo affirme qu’au tout début de l’épidémie, de nombreuses informations non avérées circulaient dans son district au sujet du vaccin contre la maladie à virus Ebola. « Avec le soutien de l’OMS et d’autres organisations, nous avons pu faire en sorte que les populations soient correctement informées, ce qui a permis de changer la situation pour le meilleur. Aujourd’hui, la plupart des gens ont accepté le vaccin. »
Depuis le début de l’épidémie, plus de 9500 personnes ont été vaccinées contre le virus, dont plus de 2600 travailleurs en première ligne. « Sans l’action menée afin de démentir les rumeurs et d’atténuer les réticences, cela n’aurait pas été le cas », note Sevie Loua, qui en plus d’être à la tête de la toute récente commission axée sur la communication, assure la coordination de la surveillance communautaire au sein du département sanitaire de la province de N’zerekore.
« Grâce au travail effectué, surtout sur le terrain, de plus en plus de communautés comprennent maintenant ce que nous essayons de faire afin de mettre fin à l’épidémie. Elles ont compris que nous œuvrons pour leur bien-être, et non pour leur nuire », renchérit-elle.
En l’absence de nouveaux cas confirmés depuis le 2 avril, l’OMS a entamé le 8 mai un compte à rebours de 42 jours, à l’issue duquel elle pourra déclarer la fin de l’épidémie d’Ebola en Guinée. Les mécanismes de facilitation de la participation communautaire mis en place pendant l’épidémie, et réputés pour leur fiabilité, devraient continuer à jouer un rôle de premier plan en cas de nouvelles situations d’urgence sanitaire dans le pays.
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Communication Officer
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