Les défis liés à la prévention et aux soins du diabète en Afrique
Brazzaville – L’Afrique devrait connaître la plus forte augmentation du nombre de cas de diabète dans le monde. Le nombre de personnes souffrant de cette maladie devrait atteindre 55 millions d’ici 2045, soit une hausse de 134 % par rapport à 2021. Le continent présente aussi le taux le plus élevé de personnes ignorant leur statut pour le diabète, avec un taux de 70 %. La Dre Bernadette Adeyileka-Tracz, fondatrice et cheffe de l’exploitation à Diabetes Africa, une organisation à but non lucratif œuvrant à l’amélioration de la santé des Africains diabétiques, explique les défis liés à la prévention et aux soins du diabète sur le continent.
Quels sont les défis auxquels fait face une personne vivant avec le diabète en Afrique ?
Le défi numéro un pour une personne atteinte de diabète de type 1 ou 2 en Afrique est le dépistage : les gens ayant du diabète peuvent ignorer leur condition jusqu’à être affectés par des complications sérieuses. Ceci est dû au fait que « avoir l’air en bonne santé » est différent d’« être en bonne santé ». Les gens avec un taux excessif de sucre dans le sang, surtout dans le cas du diabète de type 2, peuvent vivre sans connaître de complications pendant longtemps. Néanmoins, quand ces complications se manifestent, elles constituent d’énormes problèmes en termes de moyens de subsistance et s’ajoutent au fardeau pesant sur des systèmes de santé déjà sous pression. La cécité, l’amputation, les urgences cardiaques ne sont pas des complications légères.
Dans beaucoup d’endroits sur le continent, ce défi est aggravé par le manque de structures de dépistage ou de formation des professionnels de la santé qui leur permettrait d’identifier les risques de façon précoce. Plus tôt le diabète de type 2 ou des pré-diabètes sont diagnostiqués et traités, mieux c’est pour une personne et pour la communauté dans son ensemble.
Le coût et l’accès aux médicaments sont, bien sûr, un défi important en Afrique. Nous pouvons ajouter que la gestion des niveaux de glucose dans le sang nécessite de tester la glycémie régulièrement, et cela présente des difficultés en soi : les personnes atteintes de diabète devraient bénéficier d’une formation adéquate sur le sujet, mais aussi être capable de la financer : comment peut-on attendre des gens de se faire tester régulièrement s’ils doivent choisir entre nourrir leur famille et acheter des bandes-tests ?
Le diagnostic et le dépistage sont les premiers d’une série de défis allant crescendo. Pour les décrire, les experts utilisent souvent ce qu’ils appellent « la règle des moitiés » : sur 100 personnes atteintes de diabète, seulement 50 ont été diagnostiquées. Le reste vivra avec l’affection et ses conséquences sans en être conscient. Sur ces 50 personnes qui ont été diagnostiquées, 25 recevront des soins. Les autres ne sont pas en mesure de les demander, pour des raisons personnelles ou économiques. Finalement, parmi les 25 personnes qui reçoivent des soins adaptés, seulement 12 ou 13 atteindront leurs objectifs en termes de lecture et de mesures. Mais à la fin, seulement six d’entres elles obtiendront un résultat sanitaire positif.
Cela montre l’échelle du problème auquel nous faisons face. Il est aussi possible que dans les zones reculées et rurales en Afrique s’applique une règle des tiers ou une règle des quarts.
Comment la COVID-19 a empiré leur situation ?
La COVID-19 a sans aucun doute augmenté les risques pour les personnes atteintes de diabète. Les personnes vivant avec du diabète sont plus susceptibles de développer des symptômes sévères de la COVID-19. Les recherches continuent, mais les preuves anecdotiques provenant d’Afrique tendent à corroborer les recherches réalisées au Royaume-Uni et aux États-Unis d’Amérique. En République démocratique du Congo, par exemple, l’analyse d’un petit échantillon de 215 personnes décédées de la COVID-19 montre que 30 % d’entres elles avaient du diabète.
La riposte publique à la pandémie a également eu un impact sur les personnes ayant du diabète. Une réaction initiale à la pandémie a été d’encourager les gens à rester chez eux et à limiter les visites à l’hôpital. Les diabétiques ont aussi choisi de rester à la maison par peur d’attraper le virus. Avec la pandémie se poursuivant en 2021, ceci s’est avéré ne pas être une solution durable.
La soudaine attention mondiale sur la santé peut avoir encouragé certaines personnes à mieux contrôler leur diabète et à faire des efforts supplémentaires, mais en général la COVID-19 et les restrictions associées ont impliqué que les gens deviennent plus sédentaires, connaissent plus de stress et d’anxiété, et aient plus de difficultés à observer un régime sain et à contrôler leur diabète.
Heureusement, dans la plupart des cas, les hôpitaux et les fournisseurs de soins de santé ont eu conscience de ces défis et ont fourni un effort supplémentaire pour permettre aux personnes vivant avec des affections chroniques de bénéficier de soins en face-à-face. La télémédecine a aidé dans des pays où les appels téléphoniques et vidéos étaient des options possibles, par exemple au Nigéria et au Kenya. Néanmoins, dans d’autres pays, comme l’Ouganda par exemple, le coût et les difficultés techniques de la télémédecine étaient souvent prohibitifs.
La COVID-19 a aussi été la catalyse de changements positifs. Des organisations de la société civile ont joué un rôle actif en encourageant les gouvernements à s’attaquer aux maladies non transmissibles comme le diabète pour alléger le fardeau pesant sur les systèmes de santé. Au Kenya, l’Alliance des maladies non transmissibles a effectué un plaidoyer pour que les médicaments essentiels pour le diabète soient couverts par le Fond national d’assurance santé.
Comment les pays innovent et gèrent le diabète dans un contexte de faibles ressources ?
Il est difficile de s’intéresser au diabète en l’isolant du reste et de demander comment nous pourrions faire plus avec moins. Des soins de santé adaptés nécessitent un niveau de base de ressources et, étant donné leur impact sur le système en général, les maladies non transmissibles telles que le diabète restent largement sous-financées.
C’est regrettable parce qu’en gérant la santé dans un contexte de faibles ressources, nous tirerions profit d’actions qui réduisent les complications onéreuses, telles que des diagnostics précoces et la prévention du diabète. Les personnes qui séjournent à l’hôpital avec la COVID-19 ont souvent des comorbidités. Ne pouvons-nous pas nous attaquer à ces comorbidités à la source ?
L’une des plus grandes innovations dans un contexte de ressources limitées serait de changer d’état d’esprit : imaginez investir pour garder les gens en bonne santé, plutôt que de régler des problèmes. Il y aura toujours des urgences et des opérations onéreuses qui ne peuvent pas être évitées. Mais le diabète ne doit pas en être la cause.
Ceci implique un effort de formation des professionnels des soins de santé, d’information et de formation des personnes qui peuvent être à risque, de partage de connaissances à une échelle bien plus grande, tout ce qu’ambitionne de faire Diabetes Africa. Ceci impliquerait aussi de travailler avec des organisations commerciales, en particulier dans l’industrie de l’alimentation et des boissons, pour labéliser les produits et aider les gens à prendre des décisions informées.