Pierre-Jean, premier guéri d’Ebola : « Je ne peux pas croire que certains doutent de l’existence de la maladie ! »
Conakry, Guinée – Pierre-Jean (*) est le premier guéri de la maladie à virus Ebola depuis sa réapparition en Guinée, le 14 Février 2021. En convalescence depuis deux semaines, le sexagénaire a décidé de raconter son expérience pour sensibiliser la population et éviter que d’autres ne subissent la même épreuve que lui : en moins d’un mois, il a déjà perdu quatre membres de sa famille, dont son épouse.
Installé sur une terrasse carrelée d’une maison de Conakry, vêtu d’un tee-shirt gris et d’un bermuda couleur crème, Pierre-Jean garde le sourire. Premier guéri, il fait aussi partie de ceux qui ont permis de confirmer la réapparition d’Ebola en Guinée, cinq ans après que le virus a entraîné la mort de 11 000 personnes, y compris en Sierra Leone et au Liberia, entre 2014 et 2016.
Originaire de N’Zérékoré, épicentre de la nouvelle épidémie, Pierre-Jean a d’abord assisté impuissant au décès de sa femme. « On ne savait pas que c’était Ebola qui était à l’origine de ses maux », explique l’agronome, à la tête de 10 hectares. Deux jours après son décès, il commence à ressentir une grande fatigue et des malaises réguliers.
Après plusieurs consultations à l’hôpital communal et régional, Pierre-Jean est évacué le 13 février à Conakry sur demande du médecin en chef de l’hôpital de N’Zérékoré. Il est pris en en charge au centre de traitement des maladies infectieuses et des épidémies, situé à Nongo, dans la banlieue de Conakry. Tandis que l’état du sexagénaire se dégrade et qu’il peine à se nourrir, davantage d’examens sont réalisés, jusqu’au diagnostic final : « On m’a dit : « Pierre-Jean, le sang que nous avons prélevé dans votre organisme démontre la présence du virus Ebola, mais ne vous en faites pas, ce n’est pas grave. Aujourd’hui, il existe un traitement, vous allez guérir. »
C’est grâce aux équipes du Pr Sow que Jean Pierre a pu être soigné dans de bonnes conditions : sa famille a été autorisée à l’accompagner lors de son admission au centre, dans le respect le plus stricte des règles sanitaires. Un cadeau précieux qui lui a permis de garder le moral durant ses dix jours passé en isolement. Ce n’est qu’à la suite de trois tests revenus négatifs qu’il a été officiellement déclaré guéri.
Une meilleure préparation
C’est ainsi que son épouse, dont on ignorait encore les causes du décès, est suspectée d’être aussi un cas probable d’Ebola. Ayant été enterrée, elle n’a pu être testée, mais la présence du virus dans le sang de plusieurs membres de la famille, ainsi que les symptômes qu’elle a développés avant son décès, confortent l’hypothèse.
S’ensuivent alors dix jours de traitement pour Pierre-Jean. La famille suit les recommandations du personnel soignant et de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) : respect des gestes barrières, quarantaine en cas de symptômes et vaccination des cas contact. Ainsi, sur les onze enfants du foyer, tous ont observé une période de quarantaine avant d’être vaccinés.
La réactivité de la famille a été précieuse. Les autorités nationales, le personnel soignant, l’OMS et les partenaires n’ont pas eu à chercher les cas contacts de cette famille qui a très tôt compris les enjeux. « Pendant la première épidémie d’Ebola nous avons perdus 7 membres de la famille paternelle », raconte Pierre-Jean. « Nous n’étions pas proches, et ces décès ne m’avaient pas particulièrement touché. J’ai vu des gens mourir, mais dans ma famille proche, nous avons observé les gestes barrières et suivi attentivement les recommandations de l’OMS. Le temps est passé et l’épidémie aussi ».
Cette fois-ci, la communauté n’était pas préparée. En revanche, le gouvernement, l’Agence nationale de la sécurité sanitaire (ANSS), l’OMS et les partenaires ont rapidement mis en place la riposte à cette nouvelle épidémie : réunion interministérielle pour harmoniser la stratégie avec les pays frontaliers, mise en place d’une mission sur le terrain pour observer, analyser et répondre aux besoins sanitaires...
Le 15 février, un vol humanitaire est arrivé à N’Zérékoré avec 700 kg d’équipement médical donné par l’OMS et des partenaires. Le 22 février, la Guinée a reçu plus de 11 000 doses du vaccin rVSV-ZEBOV contre Ebola, qui ont été envoyées par l’OMS depuis son siège à Genève. Suivant d’autres envois de vaccins, le pays a disposé de 20 000 doses. Dès le 23 février, la vaccination a commencé à Gouécké, une communauté rurale de la préfecture de N’Zérékoré où ont été détectés les premiers cas. L’ensemble des six pays limitrophes de la Guinée (Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Sénégal et Sierra Leone) ont finalisé en urgence leurs plans nationaux de préparation et de coordination.
Réticences au sein des communautés
Un travail dont Pierre-Jean se félicite. Il comprend moins, en revanche, les réticences d’une partie de la communauté locale à observer les gestes barrières et à se faire vacciner. « Quand j’entends que certains mettent en doute la résurgence de la maladie à virus Ebola, je ne peux le croire car moi, je suis un témoin de la maladie, une preuve vivante ! », s’exclame-t-il. « Et j’encourage tout le monde à suivre les recommandations de l’ANSS et de l’OMS parce que vraiment les deuils que nous avons vécus sont difficiles à surmonter. C’est très dur. »
Depuis sa sortie du centre, Pierre Jean vit avec sa fille, dans la banlieue de Conakry. La solidarité familiale l’a énormément aidé à guérir. Aujourd’hui, ils font face ensemble à un nouveau décès, celui de la femme de son beau-frère, enceinte au moment de sa mort. Intel en parle avec des tremblements dans la voix et les yeux remplis de larmes. « Elle était presque au terme de sa grossesse. C’est vraiment terrible », dit-t-il en secouant la tête de droite à gauche.
Aujourd’hui, il vit loin de l’épicentre de la maladie et refuse que son image et son identité ne soient diffusées sur les réseaux sociaux de peur d’être stigmatisé. Faire partie des premiers malades de l’Ebola est un poids lourd à porter, notamment à Nzérékoré où les investigations sont toujours en cours pour comprendre ce qui a permis le retour de la maladie. Pierre-Jean tient néanmoins à sensibiliser la population, surtout la jeunesse, qu’il qualifie d’« ailes de la nation », afin qu’elle prenne pleinement part à la riposte et se saisissent mieux des questions de santé.
« J’ai toujours suivi les recommandations concernant les questions de santé : je ne bois pas, je ne me drogue pas et je ne fume pas de cigarette non plus. J’ai passé toute ma vie à travailler la terre et je sais que cela aussi m’a grandement conforté dans l’idée que j’allais guérir. »
Malgré tout, l’épreuve a fortement impacté le quotidien de l’ingénieur agronome. Propriétaire terrien, habitué à travailler ses 10 hectares de terre en compagnie de ses employés permanents et journaliers, il a dû tout mettre en pause lorsque sa femme est tombée malade. « Je suis un vieil homme et je me retrouve seul à devoir subvenir aux besoins de ma famille. Je ne sais pas ce que je vais faire. »
Sensibiliser les derniers sceptiques
Mais pour l’heure c’est sa convalescence qui l’importe le plus. Si les exercices physiques qu’il effectue quotidiennement lui coûtent, le vieil homme garde espoir. « J’ai survécu à Ebola, aujourd’hui je suis en vie et toute ma famille est vaccinée. Nous ne sommes plus un risque pour personne », affirme-t-il fièrement. Pierre-Jean espère que son témoignage courageux aidera à sensibiliser les derniers sceptiques afin que le pays vienne rapidement à bout de l’épidémie.
(*) Le prénom a été changé à la demande de l’intéressé