Pourquoi le séquençage génomique est essentiel à la riposte à la COVID-19
Le Cap – En décembre 2020, l’Afrique du Sud a détecté le variant Bêta et en mai le variant Delta grâce à une surveillance génomique rigoureuse. Le professeur Tulio De Oliveira, un bio-informaticien de renom qui a identifié le variant Bêta, explique le caractère essentiel du séquençage génomique. Le professeur De Oliveira dirige la plateforme d’innovation en recherche et de séquençage dans le KwaZulu-Natal (KRISP) et le Centre pour la riposte aux épidémies et l’innovation (CERI) basé en Afrique du Sud.
Quelle est l’importance du séquençage génomique dans la riposte à la COVID-19 ?
Le séquençage génomique s’est avéré très important depuis le début de la riposte à la COVID-19. De nouveaux variants se forment constamment et les données génomiques ont permis aux pays de prendre des décisions de santé publique rapides et éclairées depuis le début de la pandémie. Par exemple, dès que le variant Bêta été détecté pour la première fois en Afrique du Sud, au tout début de la deuxième vague de la pandémie, nous avons immédiatement saisi notre Ministère de la santé et notre Président Cyril Ramaphosa. En moins d’une journée, une nouvelle législation a été élaborée afin de soumettre le pays à un confinement plus strict, le but étant de réduire les infections et de sauver des vies. Il a fallu moins de 48 heures après la détection du nouveau variant pour que cette disposition soit prise et c’est aussi ce qui a été fait pour le variant Delta lors de la troisième vague.
L’intérêt du séquençage génomique pour l’action de santé publique ne se résume pas au fait de savoir à quel moment se confiner. Le séquençage génomique peut permettre aux pays de se préparer à d’éventuelles périodes de recrudescence des cas et de prendre des mesures cruciales telles que l’augmentation de l’approvisionnement en oxygène, la mise à disposition d’un nombre accru de lits dans les hôpitaux ou l’intensification des tests de dépistage, car il s’agit là de variants plus transmissibles. En outre, le séquençage génomique a été déterminant pour les pays au moment où ceux-ci devaient choisir les vaccins les plus appropriés à utiliser dans le contexte africain. La réticence face à la vaccination étant un problème majeur, nous devons d’emblée faire le bon choix des vaccins et veiller à ce que les vaccins déployés soient l’option la plus efficace disponible. Les données génomiques ont servi de base à l’Afrique du Sud dans sa décision d’opter pour l’utilisation des vaccins anti-COVID-19 fabriqués par Johnson & Johnson et Pfizer.
Par ailleurs, certaines mesures peuvent être prises par les pays pour réagir aux nouveaux variants sans pour autant recourir à leurs données génomiques. L’Angola constitue un très bon exemple en ce qui concerne l’utilisation de mesures barrières simples pour éviter l’entrée de variants dans le pays. En effet, grâce aux tests de dépistage effectués aux points d’entrée pour tous les voyageurs, le pays a réussi à isoler la plupart des cas positifs et à ralentir la propagation de ces variants préoccupants, plus dangereux, sans recourir pour cela aux interdictions de voyage. Celles-ci coûtent très cher d’un point de vue économique, mais un bon système de triage et de dépistage aux points d’entrée peut s’avérer tout aussi efficace. Je pense que le monde peut tirer beaucoup d’enseignements de cette stratégie et du Dr Silvia Lutucuta, Ministre de la santé, et du Dr Joana Moraes, directrice générale de la santé en Angola.
Quelles sont les avancées réalisées en Afrique concernant le séquençage génomique ?
La surveillance génomique progresse assez rapidement en Afrique et s’est considérablement développée cette année. Le continent se rapproche de la barre des 50 000 génomes séquencés. En début d’année, nous n’en étions même pas encore à 10 000 génomes. Cette multiplication par cinq est le fruit des nombreux investissements réalisés et du renforcement des capacités depuis le début de la pandémie. Plusieurs exemples de réussite marquants sont à noter parmi les pays qui ont bien maîtrisé le séquençage génomique, tels que l’Afrique du Sud, le Nigéria et le Kenya, et parmi les pays tels que le Botswana, qui comblent rapidement leur retard dans ce domaine.
À la KRISP et au CERI, nous pensons vraiment qu’il est important d’étendre le séquençage génomique dans la Région de manière globale et durable, en collaborant avec des partenaires comme l’Organisation mondiale de la Santé et les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC Afrique). La KRISP et le CERI effectuent le séquençage génomique pour le compte de nombreux pays africains, mais nous partageons aussi tous nos protocoles avec les pays et nous proposons de former leurs techniciens pour accroître leur capacité.
Le Malawi a récemment envoyé quelques techniciens dans nos installations pour être formés et, dans la semaine qui a suivi leur retour au pays, le Malawi a commencé à produire ses propres données. Nous pouvons encore citer le cas de l’Ouganda, qui a fait beaucoup de séquençages en utilisant les technologies « Oxford Nanopore ». Cependant, le pays a récemment envoyé deux scientifiques de haut niveau dans notre laboratoire pour étudier le séquençage à l’aide de la technologie « Illumina ». Aujourd’hui, deux plateformes différentes sont établies dans le pays.
Comment peut-on améliorer la surveillance génomique dans la Région ?
Au niveau national, il est essentiel que les pays mettent en place un réseau de laboratoires opérationnel qui regroupe les instituts nationaux de santé publique, les établissements universitaires et le secteur privé. En vérité, aucun institut national de santé publique ne peut fonctionner en isolation. La mise en place d’un système qui regroupe les organisations universitaires et le secteur privé permettra aux pays de tirer profit d’un riche réseau d’établissements qui existent déjà. C’est un système que nous essayons de mettre en œuvre en Afrique du Sud, mais qui s’inspire d’un modèle existant au Royaume-Uni. Il s’est avéré très efficace.
Les partenariats au niveau régional sont également très importants. Le réseau de laboratoires de séquençage pour la COVID-19 et les agents pathogènes émergents, mis en place l’année dernière par l’OMS et le CDC Afrique, est un exemple d’action envisageable par les pays pour renforcer leurs capacités et améliorer leurs compétences. Des réseaux de laboratoires constitués de trois catégories distinctes sont en cours de développement dans la Région. Ces catégories intègrent les centres spécialisés en génomique (tels que la KRISP), les structures régionales de génomique et les laboratoires nationaux. Les pays africains devraient déployer les efforts nécessaires pour être aussi actifs que possible dans les trois catégories. Cela permet non seulement de renforcer les données de séquençage génomique, mais aussi de faciliter le transfert des connaissances et la formation, un aspect essentiel pour assurer la pérennité.
La communication entre les pays revêt elle aussi une importance capitale. L’Afrique regorge d’expériences, de connaissances et de capacités.
Au-delà de la pandémie, comment le séquençage génomique peut-il permettre de résoudre d’autres problèmes de santé ?
La surveillance génomique n’est pas un élément nouveau. Nous l’utilisons déjà pour comprendre la transmission et la résistance aux médicaments d’agents pathogènes tels que le VIH et la tuberculose. La dengue, le Chikungunya et la fièvre jaunes sont de bons exemples de la façon dont les efforts déployés pour identifier les génotypes des variants nous ont permis d’opter pour les meilleurs produits diagnostiques, vaccins et traitements possibles. La surveillance génomique s’est également avérée cruciale pour détecter de nouvelles transmissions zoonotiques de maladies telles que les maladies à virus Ebola ou à virus de Marburg et la fièvre de Lassa. Cependant, ces éléments ne représentent que la partie visible de l’iceberg.
La surveillance génomique présente une infinité de possibilités pour la santé publique en Afrique et nous devons continuer à investir dans ces trois catégories de laboratoires et d’activités, tout en œuvrant de concert et en nous soutenant mutuellement. Aujourd’hui, l’attention est portée sur la COVID-19, mais nous devons saisir cette occasion pour construire des infrastructures pérennes pour l’avenir.
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