Au Kenya, les agriculteurs délaissent la culture du tabac pour celle plus saine des haricots

Migori, Kenya — Petalis Ouma, 64 ans, souffre de toux chronique et de douleurs thoraciques. Depuis quelque temps, la douleur thoracique s'est aggravée. Il n'a jamais fumé une cigarette de sa vie, mais a cultivé du tabac pendant des années dans sa maison de Migori, une région du sud-ouest du Kenya où la culture du tabac est l'une des principales activités de subsistance.

La culture du tabac a des effets néfastes sur la santé des agriculteurs qui touchent et inhalent régulièrement les toxines de la plante. Entre 2012 et 2018, les exportations de feuilles de tabac des pays africains ont augmenté de plus de 10 %, notamment avec les pays d'Afrique de l'Est qui produisent 90 % du tabac cultivé en Afrique.

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), en partenariat avec le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, en collaboration avec le gouvernement kenyan, a lancé un programme visant à aider les agriculteurs à passer à la production de cultures plus durables pour pouvoir vivre en meilleure santé.  Petalis Ouma est l'un des 900 agriculteurs ayant opté pour ce changement.

Petalis Ouma (à gauche) se rend chaque semaine au dispensaire local à cause de ses douleurs thoraciques. Il a été orienté vers l'hôpital central du comté de Migori pour faire une radiographie de ses poumons. La note du médecin précise que « le patient souffre d'une toux anormale depuis 2010 en raison d'une exposition fréquente au tabac. C’est un agriculteur. »

Migori est l'un des trois comtés du Kenya où se concentre la majeure partie de la production de tabac dans le pays. Cette culture de rente contribue pour moins de 1 % au PIB du pays et laisse ceux qui la cultivent dans une situation désastreuse.

Le docteur Francis Manyinza (à droite) n'est pas surpris par l'état de santé de Petalis Ouma. En tant que médecin principal de l'hôpital de référence du comté, il a déjà eu l'occasion de voir des cultivateurs de tabac complètement essoufflés dans les couloirs de l'hôpital.
Petalis Ouma cultive du tabac depuis l'âge de 15 ans. De temps en temps, il laisse échapper une toux profonde derrière son masque bien ajusté et cligne des yeux en signe de patience. Les médecins lui disent que ses douleurs thoraciques sont liées aux plus de quarante années qu’il a passées dans la culture du tabac.
« Le pire arrive lorsque les agriculteurs font sécher le tabac, les fumées pénètrent dans les poumons et endommagent les tissus. C'est comme fumer constamment, sans filtre », explique le Dr Manyinza.
« La liste est longue. De nombreux cultivateurs de tabac souffrent également de malnutrition. Les pesticides avec lesquels ils travaillent sont toxiques et ils n'ont généralement pas d'équipement de protection », poursuit le Dr Manyinza.

« Nous savons tous que le tabac est mauvais pour nous. Rien que l'odeur me rend malade », confie Petalis Ouma. Entre deux souffles laborieux, il poursuit : « C'est la pauvreté. Le tabac était encore tout récemment notre meilleure opportunité de gagner de l'argent. »
D'autres agriculteurs du comté de Migori ont déjà franchi le pas. Pour beaucoup, la raison est aussi liée à la santé.

Philip Obonyo est assis avec sa plus jeune fille et évoque le souvenir douloureux du cancer qui a emporté sa première épouse. Il a arrêté de cultiver du tabac immédiatement après son décès.

« J'ai perdu ma femme à cause de l'exposition à cet environnement, alors pourquoi devrais-je continuer à faire quelque chose de dangereux pour la vie de ma famille ? », s’interroge Philip Obonyo, tout tremblant. « La famille compte beaucoup. »

Il poursuit : « Je ne cesse de dire aux gens que ça ne vaut pas la peine. Il y a peut-être de l'argent dans le tabac, mais on ne gagne pas. Vous épuiserez vos arbres, votre famille et vos forces. Une fois que vous avez payé tout cela en plus des intrants agricoles, il ne vous reste plus rien. »
Petalis Ouma va désormais cultiver des haricots à haute teneur en fer au lieu du tabac, rejoignant ainsi 900 autres agriculteurs dans cette reconversion.

Le Kenya a été l’un des premiers pays à ratifier la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, qui est juridiquement contraignante, et à adopter par la suite une loi nationale sur la lutte antitabac. Les deux documents stipulent la nécessité d'une alternative à la production de tabac qui protège ceux dont les moyens de subsistance dépendent de sa culture.

Grâce aux initiatives d’approvisionnement locales du PAM, il existe désormais un marché à long terme pour les haricots à teneur élevée en fer à Migori.

« Ce marché offre aux cultivateurs de tabac de Migori une nouvelle façon de gagner leur vie sans les conséquences néfastes sur la santé résultant de la culture du tabac, une plante hautement toxique et qui exige beaucoup de travail », explique le Dr Abdourahmane Diallo, Représentant de l’OMS au Kenya. « C’est une nouvelle façon de lutter contre l’épidémie de tabagisme qui a détruit tant de vies ».
Les haricots, explique Philip Obonyo, requièrent moins de main-d'œuvre et se vendent environ 1 dollar par kilogramme. Il a vendu environ trois sacs de 100 kilos la saison dernière et a utilisé un sac de haricots pour payer les frais de scolarité de ses enfants.

L’agriculteur a également fait des provisions de sa dernière récolte que lui et sa famille mangent les dimanches après l'église. « Ils sont un peu sucrés, les enfants adorent. »
Muthoni Rugar est l'un des 80 volontaires de santé communautaire de Migori que l'OMS a formés pour faire passer le message sur les effets nocifs du tabac et les avantages du passage aux haricots.

C'est par l'intermédiaire de Rugar que Petalis Ouma et sa belle-mère de 80 ans Pereskila Okello Adero ont appris l'existence de cette alternative.

Cette saison, Ouma utilisera les deux hectares et demi sur lesquels il cultivait du tabac auparavant, pour faire pousser les haricots. Ceux-ci peuvent être cultivés et récoltés deux à trois fois par an, alors que le tabac ne se récolte qu’une fois par an.
De retour au domicile de Petalis Ouma, sa belle-mère revient sur ses années de culture du tabac. Elle explique que le travail était pénible. Ils devaient passer toute la journée au champ et, comme beaucoup d'autres agriculteurs, ils stockaient le tabac séché dans la pièce où dormait la famille, inhalant de la poussière toxique pendant des heures.

« C'est très difficile pour moi de voir ma famille comme ça, ils ont tous des problèmes de peau », dit Pereskila Okello Adero. « Si vous tendez l’oreille, vous constaterez que je ne respire pas bien. »
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